Tarotophilie essentielle
Quelques notions, bases et observations personnelles sur le tarot.
On excusera le manque de détail quand aux références, citées au maximum mais sans plomber la lecture. La présente page ne se veut pas encyclopédique, mais le lecteur curieux pourra se pencher sur les références listées en bas de page.
Notons pour laisser rêver qui en a envie, que le fait qu'une information ou une hypothèse ne soit pas attestée par une source historique ne l'invalide pas complètement ; néanmoins il est tout de même souhaitable - et c'est la raison d'être de cette page - que l'on puisse faire la part des choses entre la créativité débridée ou l'inspiration transcendantale voire l'inclusion dans « la Tradition vivante » d'une part et le fait historique de l'autre.
Tout lecteur qui repèrerait des inexactitudes flagrantes ou des erreurs est par avance chaleureusement remercié de bien vouloir me les signaler afin de les corriger. Les points de vue divergents sont aussi bienvenus mais sans garanti d'être ici intégrés. Acceptez aussi mes excuses pour les redites !
SOMMAIRE
Le Tarot de Marseille ne vient pas de Marseille, mais un peu quand même
Origines du Tarot
l'Iconographie et les symboles du Tarot
les Roms et le Tarot
les cartes standards ne viennent pas du Tarot
Pas de lames ou d'arcanes avant 1863
Les cartes n'étaient pas faites en métal
Les cartes de Gringonneur 1392 n'étaient pas des cartes de Tarot
Le Tarot et la Kabbale : une idée tardive
Le Tarot n'a pas été une cible particulière de l'Église
Les cartes étaient utilisées pour le jeu avant tout
Tarot et hermétisme
les Tarots sont baptisés "de Marseille" au XIXe siècle
Le motif "de Marseille" n'est pas le seul motif de tarot de cartiers français
Identifier les Tarots de Marseille, type I et II, Besançon, Rouen-Bruxelles ?
« LE CONVER », L' « ANCIEN TAROT DE MARSEILLE », B.-P. Grimaud, J-B Camoin et la confusion
Bibliographie historique sommaire
Bibliographie pour aller plus loin
Sur internet
LE TAROT DE MARSEILLE NE VIENT PAS DE MARSEILLE, MAIS UN PEU QUAND MÊME
Si il y eut de très nombreux cartiers à Marseille au début du XVIIIe siècle (et un tout petit peu plus tôt ?) qui reprenaient le même portrait (motif) de Tarot, dont l'exemple le plus connu est celui de Nicolas Conver (conservé à la Bibliothèque Nationale), le Tarot n'est pas originaire de Marseille, probablement pas de France, mais apparaît en Italie du Nord. Le nom même de Tarot ne désignait pas les cartes qu'on appelle aujourd'hui ainsi, à l'origine « carte da trionfi » (cartes de triomphes) ou « naibi a trionfi » (cartes à triomphes).
Le mot « tarot » n'apparait - suivant les documents connus aujourd'hui - que plus tard et ses premières occurences connues datent de 1505, simultanément en France (plus exactement à Avignon, alors territoire pontifical) et en Italie, plusieurs dizaines d'années après l'apparition des cartes.
ORIGINES DU TAROT
Aucune preuve historique ne vient étayer une origine du Tarot (et non pas des cartes à jouer !) qui puisse être indienne, chinoise, arabe, ou dans les spéculations plus audacieuses égyptienne, cathare, juive, atlante, celte, etc...
Historiquement, les cartes de triomphes sont nées en Italie au XVe siècle.
Actuellement (juillet 2012) certains chercheurs (Ross Caldwell, Charly Alverda) pensent que la suite spécifique d'atouts propre au tarot dit de Marseille, qui est une variation des tarots italiens, et la tradition cartière française pourrait être née à Lyon en même temps que la tradition spécifique des cartiers français, revenue ensuite à Milan - ville à laquelle était attribuée précédemment l'origine de cette variante particulière, mais qui aurait été en fait influencée par le retour des tarots français.
L'ICONOGRAPHIE ET LES SYMBOLES DU TAROT
L'iconographie du Tarot nait avec les cartes, inspirée par la renaissance naissante (oups). Ceci n'empêche pas de spéculer sur des origines plus anciennes des symboles, des images, reste que ces images ne sont ni anachroniques ni hors normes pour l'époque à laquelle elles ont été créées.
En outre si l'origine des images, dont depuis Gertrude Moakley la nature a été progressivement affinée (voir par exemple les propositions judicieuses de Michael J. Hurst), les variations de l'iconographie suivant sa réappropriation à différentes époques (par exemple par les cartiers français bien sûr) laissent beaucoup à faire aux chercheurs consciencieux et aux approches plus « libres » et moins pragmatiques.
LES ROMS ET LE TAROT
Les « Tsiganes » (Rroms ou « Rômes » comme l'écrivait beaucoup J.-G. Bourgeat, Manouches, « Bohémiens » ...) n'ont pas apporté le Tarot en Europe. Des historiens du XIXe siècle l'ont cru mais cette idée a fait long feu. L'usage divinatoire du Tarot par des populations d'origine Rrom n'est pas attesté avant le XXe siècle - ce qui ne veut pas dire qu'il n'ait pas eu lieu plus tôt, mais la chiromancie semble le support de divination privilégié des Rroms auparavant.
Il existe peut-être des racines plus anciennes à la cartomancie chez les Rroms et Tziganes, mais aucun document ne permet de l'attester.
LES CARTES STANDARD NE VIENNENT PAS DU TAROT
Le jeu de carte standard avec ses piques, cœurs, trèfles et carreaux pas plus que le jeu à enseigne latines n'est un version dégradée et amputée du Tarot. Cette idée était présente chez des auteurs anciens mais tout vient la contredire : les cartes à jouer apparaissent et se répandent un demi-siècle avant les tarots (dont le nom n'est attesté qu'en 1505).
Les cartes ont vraisemblablement une origine orientale. Elles apparaissent soudainement à partir de 1370 dans l'Europe, quasiment simultanément en Italie et en Catalogne, avec les enseignes italiennes ou espagnoles (bâtons, deniers, coupes et épées) puis avant 1480 avec les enseignes françaises (pique, cœur, carreau et trèfle).
LES CARTES NE S'APPELLENT PAS DES LAMES OU DES ARCANES AVANT 1863
Thierry Depaulis écrit dans le livret qui accompagne le Tarot de Paris, André Dimanche, Marseille, 1984 : c'est à Paul Christian (Jean-Baptiste Pitois 1811-1877) que nous devons l'emploi des termes lames et arcanes [...] pour désigner les cartes de Tarot (L'homme rouge des Tuileries, Paris, 1863). (à noter que ce texte est malheureusement absent du livret de l'édition suivante du même jeu chez Profutur).
Ces désignations firent florès chez les occultistes et les cartomanciens, avec le succès qu'on connait en ce début de troisième millénaire - où l'usage est devenu de désigner les cartes par les noms d' « arcane » ou « lames », les triomphes ou atouts portant l'épithète « majeur », les cartes numérales et les honneurs étant relégués au rang de « mineur ».
LES CARTES N'ÉTAIENT PAS FAITES EN METAL À L'« ORIGINE »
Cette idée a été avancée par divers auteurs, évoquée chez Lévi, P.Christian, Papus, et jusqu'à Marcel Picard (dans "langage secret du Tarot"); Lévu parlait d'hiéroglyphes taillés dans le bronze ou le cuivre : si de tels objets avaient existé, on pourrait à juste titre s'interroger sur l'absence totale du moindre signe de leur existence avant leur invention au XIXe siècle. De même aucun objet connu ne correspond à une séquence de 22 images qui serait indubitablement superposable aux triomphes des tarots et témoignerait d'une préexistence.
En revanche les cartes sont désignées comme "hiéroglyphes" très tôt, toutes les cartes : par exemple on trouve cette appellation chez des auteurs espagnols dès le XVIIe siècle au moins (voir Jean-Pierre Etienvre, Figures du Jeu, bibliothèque de la Casa Velazquez). Il faut bien entendre hiéroglyphe au sens de l'époque : image qui se lisent, et non image égyptienne !
LES CARTES DE GRINGONNEUR DE 1392 N'ÉTAIENT PAS DES CARTES DE TAROT, LE TAROT DIT DE CHARLES VI N'ÉTAIT PAS LES CARTES DE GRINGONNEUR
Les cartes dites de "Charles VI" semblent avoir été réalisées en Italie au XVIe siècle. Leur attribution à Grigonneur en 1392 est erronnée, le Tarot tel qu'on le connaît est plus tardif.
LE TAROT ET LA KABBALE OU L'ALPHABET HEBREU
Le C* de M* dans "Le monde primitif" de Court de Gébelin en 1781 est le premier à associer Tarot et Hébreu. Il n'y a aucun indice historique qui indique une telle association auparavant, mais de nombreuses spéculations ont été écrites à ce sujet à partir du C* de M*. Nombre de chercheurs ont spéculé sur la relation des 22 atouts et des 22 lettres de l'alphabet hébreu, sans qu'aucun ne parvienne à une explication définitive et irréfutable qui fasse consensus.
LE TAROT N'A PAS ÉTÉ UNE CIBLE PARTICULIÈRE DE L'ÉGLISE
ni de quelque autre religion.
Si les jeux de cartes ont été proscrits - comme les autres jeux de hasard, en particulier les dés et les paris - le cas des Tarots est particulier ; en vérité les cartes ont été variablement rejetées, parfois même soutenues par des gens d'église. Le Sermones de Ludo Cum Aliis lui même condamne d'abord les jeux de hasard, puis de dés, ensuite de cartes et en dernier (last but not least ?) les jeux de triomphes.
Les Tarots n'ont que très rarement été spécifiquement condamnés, beaucoup moins que (et toujours avec) les cartes en général. On trouve dans des périodes courtes des prescriptions religieuses très variables sur les cartes, avec des exceptions pour les Tarots par exemple en Suisse - voir les textes de T.Depaulis à ce sujet, où il n'était pas du tout évident pour les joueurs que les Tarots tombaient sous l'interdit général des cartes à jouer, et qui bénéficiaient souvent d'indulgence. En fait les Tarots pouvaient même être exemptés de condamnation quand les cartes étaient condamnées.
Reste qu'une condamnation ponctuelle put avoir des effets dévastateurs - mais pas seulement sur les cartes : sur les jeux, sur les livres, sur les œuvres d'art, etc... aussi, voir Savonarole et son bûcher des vanités, en se rappelant que Savonarole a été excommunié.
Le remplacement de la Papesse et du Pape semble arriver dans des régions à dominante protestante (cf. T.Depaulis).
Toutefois les jeux de cartes ont tout de même été largement et diversement attaqués dès leur apparition en Europe, pas forcément par l'église, ainsi que le rapporte Gherardo Ortalli, ce qui n'a semble-t-il pas du tout freiné leur très rapide diffusion dans tout le continent (pour Ortalli les cours princières italiennes ont été les moteurs de cette diffusion).
J-P Etienvre rapporte toutefois des dénonciations spécifiques du Tarot en Espagne, aussi rares que la présence du jeu en Espagne (cf. op. cit. supra).
LES CARTES ÉTAIENT UTILISÉES POUR LE JEU AVANT TOUT
Un jeu c'est indéniable, d'argent souvent, l'argent n'est jamais loin du jeu de cartes mais sa relation intime supposée aux origines du tarot est moins certaine et plus discutable.
Il faut noter que les condamnations évoquées au chapitre précédent concernaient essentiellement le jeu, pas d'autres utilisations (divinatoires par exemple) des cartes.
Il faut vraiment chercher assez profond pour trouver des utilisations non ludiques des Tarots, il y en a quelques unes assez rares, voir à ce sujet le site de M.K. Greer qui recense quelques travaux d'historiens. https://marygreer.wordpress.com/2008/04/01/origins-of-divination-with-playing-cards/
On note l'absence flagrante de références à la divination par les Tarots ou Triomphes (si on ne prend pas en compte Folengo) avant le XVIIIe siècle, les références antérieures concernent les cartes standards - quand il ne s'agit pas de cartes ou livres créés à cet effet. En revanche, vers 1700 on trouve des traces de commentaires divinatoires sur les cartes à Bologne.
Il faut relever dans cette liste au XVIe Martín de Azpilcueta qui condamne « el que pregunta, o quiere preguntar al adeuino de algun hurto, o otra cosa secreta, o procura de la saber por suertes de dados, cartas, libros, harnero, o astrolabio » (celui qui interroge, ou veut interroger un devin à propos d'un vol ou quelque autre chose secrète, ou obtient la connaissance par le hasard de dés, de cartes, de livres, de philtre ou d'astrolabe) - c'est la divination ou « mancie » qui est visée, quel que soit le support, et les supports de jeux servent naturellement (reproduisant ou modélisant les « hasards » de la vie ?) à ces pratiques.
Le Tarot - les Carte da Trionfi ou naibi da trionfi - fut utilisé comme support à des jeux d'improvisations poétiques à plusieurs époques et très tôt dans son histoire, pratique désignée par les termes italiens Tarocchi Appropriati https://trionfi.com/0/p/28/
Il est évidemment possible que les Tarots comme les cartes ou les dés aient très tôt servi de support de divination, mais ce n'est pas pour cela que les cartes furent créées (peut-on en dire autant des dés ? Pas si sûr, cf à ce sujet Jean-Marie Lhôte, Le symbolisme des jeux, Berg).
Les Tarots ont aussi pu être utilisés pour de la sorcellerie - ainsi qu'on en trouve la trace en 1589 à Venise.
Bref si la cartomancie avec les cartes est attestée assez tôt, ce n'est pas le cas avec les tarots.
LE TAROT ET L'HERMÉTISME
"Fulcanelli" a (ont ?) écrit que les Tarots contenaient tout l'enseignement de la philosophie hermétique. De l'avis de l'historien qui s'appuie sur les sources d'époque, il n'existe absolument aucune preuve historique formelle. Toutefois Charly Alverda, invoquant en référence Dame Frances Yates notamment, démontre de façon assez convaincante une nature hermétique des illustrations des Tarots de Jacques Vieville ca. 1550 dans "Trois Figures Hiéroglyphiques" (éd. du moulin de l'étoile), sur une argumentation qui pourra laisser certains de marbre mais parlera à ceux qui s'intéressent à la question hermétique.
Les Tarots sont désignés comme "hiéroglyphes" au sens hermétique de la Renaissance dans un des premiers textes sur les Trionfi (le texte anonyme publié dans "Explaining the Tarot" de Depaulis/Caldwell/Ponzi) mais c'est aussi le cas des cartes, notamment en Espagne.
La "tarotl History Sheet" soulignait que "la Renaissance italienne précoce qui vit la naissance du tarot était une époque de grandes et diverses activités intellectuelles, dans laquelle bouillonait l'hermétisme, l'astrologie, le néoplatonisme, la philosophie platonicienne, qui puisaient leur racines dans l'école d'Alexandrie". Les cartiers étaient des compagnons liés à l'industrie des imprimeurs, donc potentiellement proche de ce bouillonnement intellectuel baigné d'hermétisme.
Pour des approches « créatives » des relations entre les Tarots et les compagnonnages voir aussi par exemple le site de Jean Claude Flornoy, https://www.letarot.com/, ou celui de Jean-Michel Mathonière https://www.compagnonnage.info/ressources/tarot.htm - mais surtout la vision plus aiguisée de Charly Alverda dans ses « trois figures hiéroglyphiques » (cf. bibliogaphie infra).
Notons pour conclure cette section que si il est tout à fait acceptable que les cartes de Tarot aient pu être entendues (conçues?) comme des emblèmes hermétiques suivant le mode de pensée de la Renaissance, il n'existe aucune preuve historique formelle de la chose, les rares traités de moralisations des cartes qui nous restent ne confirment pas cette relation et ne démontrent pas qu'elle paraissait pertinentes à ces époques anciennes.
LE TAROT ET L'ÉSOTÉRISME OCCIDENTAL
Court de Gébelin a lancé la grande vogue du Tarot et de l'occultisme. Jean-Marie Lhôte s'interroge sur l'origine de cette idée. Il est indéniable que Court de Gébelin naviguait dans la franc-maçonnerie, et il est possible que son intérêt pour le Tarot soit né dans quelque loge qu'il a fréquenté. Court de Gébelin présente pourtant dans "le monde primitif" sa rencontre avec le Tarot dans un cadre de fréquentations sociales de bon ton. Il identifie lui aussi les Tarots à des hiéroglyphes, on lui a donc reproché l'origine "égyptienne" des Tarots puisqu'il a fait le raccourci de hiéroglyphe à Egypte. Cependant un hiéroglyphe, comme le rappellent Jean-Marie Lhôte et Charly Alverda, désignait depuis au moins le XVIe siècle une image à plusieurs niveaux de lecture, comme pouvait l'être un emblème. C'est peut-être dans ce sens qu'il faut entendre Court de Gébelin et Etteilla.
LES TAROTS SONT BAPTISÉS "DE MARSEILLE" TARDIVEMENT
Romain Merlin écrit dans Nouvelles recherches sur l'origine des cartes à jouer, Revue archéologique, 1859, p. 288 : « Prenons, en effet, les tarots de Besançon, de Genève et de Marseille qui représentent le plus fidèlement l'ancien tarot vénitien (sic) » ... Pas loin de lui Papus utilise la même désignation.
L'expression « Tarot de Marseille » désigne donc dans son acception la plus restreinte un type graphique très bien défini de jeux de tarot, et le terme date du XIXe siècle. Le type dit « Tarot belge à couleurs latines » ou « Rouen-Bruxelles » a existé d'abord en France au XVIIIe siècle. Le Tarot de Marseille n’a pas pu naîtire à Marseille, où l’on ne fabrique de cartes à jouer que depuis 1630 comme le rappelait très précisément Thierry Depaulis dans un documentaire télévisé récent consacré au tarot.
Le Tarot « de Besançon » est une déclinaison du motif « de Marseille » créé à ... Strasbourg ! C'était au début du XVIIIe siècle et la Papesse (atout II) et le Pape (atout V) y sont remplacées respectivement par Junon et Jupiter. Sa production à Besançon au XIXe siècle (alors qu’on n’en faisait plus à Strasbourg) lui a valu ce nom, lui aussi rapporté par R.Merlin et Papus.
LE MOTIF "de Marseille" N'EST PAS LE SEUL MOTIF DE TAROT DE CARTIERS FRANÇAIS
Il n'est probablement pas non plus le plus ancien. Les plus anciens exemples de Tarots Français sont le Tarot de Catelin Geoffroy en 1557 à Lyon, tarot incomplet à couleurs "fantaisistes" (c'est à dire pas les enseignes habituelles mais des motifs qu'on trouve dans certain jeu allemand du « Maître des Cartes à Jouer » ), et le Tarot Anonyme Parisien du début du XVIIe avec ses enseignes espagnoles. Ensuite vient le Tarot de Jacques Viéville qui utilise les enseignes à l'italienne qu'on trouvera sur les tarots postérieurs. Ces trois exemples de Tarot ne reprennent pas exactement le motif visuel "de Marseille" même si les Triomphes (atouts) respectent à peu près la séquence connue. Le plus ancien exemple semble être le Tarot de Jean Noblet - avec la séquence d'atouts identique à Conver ou Dodal.
IDENTIFIER LES TAROTS "DE MARSEILLE", QUE SONT CES "TYPES I et TYPES II, BESANÇON, ROUEN-BRUXELLES ?"
Les Tarots Marseille, de Besançon, Belges, ou tardifs italiens dérivent certainement tous d'un même modèle - connu par la feuille de la collection Cary qui daterait de 1500. https://web.archive.org/web/20080221130755/www.tarothermit.com/lineage.htm . Comme dit plus haut ce motif spécifique pourrait être né en France, probablement à Lyon, ou au moins s'y être fixé.
Les Tarots de Besançon dérivent des Tarots de Marseille, de même que les Tarots Italiens tardifs.
Thierry Depaulis a précisé en 1986 deux grands groupes de Tarots dits "de Marseille", en fonction de différences iconographiques.
(rapporté ici par Ross Caldwell https://www.tarotforum.net/showpost.php?p=822708&postcount=8 )
Pour le premier groupe, qui sera dit Tarots de type I (ou TdM1) les caractéristiques qu'il retenait étaient :
- un angelot sur L'AMOUREUX dont on ne voit pas les cheveux, qui se dirige vers la gauche, les yeux masqués,
- le CHARIOT a sur le haut du dais des tissus crénelés
- LE DIABLE a un visage humain surle ventre,
- sur LA LUNE l'astre a un visage de face
- dans LE MONDE le personnage central porte une cape
- l'atout sans nombre s'appelle LE FOL
exemples types : Noblet, Payen, Dodal
Pour le second groupe
- L'angelot sur L'AMOUREUX est orienté vers la droite, les yeux dégagés, et des cheveux bouclés.
- le CHARIOT présente en haut du dais des toiles tendues
- LE DIABLE n'a pas de visage sur le ventre.
- sur LA LUNE, l'astre est présenté avec un visage de profil
- Dans LE MONDE le personnage central a simplement une écharpe et sa gauche jambe est fléchie (comme LE PENDU et L'EMPEREUR)
exemples types : Chosson, Conver, Burdel, Carrajat,... (la très grande majorité de la production marseillaise connue, il n'existe peut-être qu'une seule exception de type I).
Certaines productions présentent des mélanges - par exemple Rochus II Schaer 1783, Mumliswil, avec un Amoureux (L'MORUX), un diable et un monde de "type II" et une lune et un chariot de "type I".
On trouve aussi parfois des PENDU de profil comme dans le Tarot de Catelin Geoffroy, pendu que T.Depaulis qualifie de "génois".
Le Tarot "de Besançon" né à Strasbourg(Depaulis, "Tarot, jeu et magie") est caractérisé par le remplacement de la figure de la Papesse par Junon et du Pape par Jupiter, l'as de Coupes est souvent de forme arrondie, souvent des palmes tombent latéralement sur les As de Bâtons et d'Épées (on retrouve ce motif sur des tarots "de Marseille"). Le Tarot de Besançon dérive principalement (de manière générale) du Tarot de Type I.
exemple type : Jean Jerger.
Le Tarot de Rouen/Bruxelles, parfois dit Belge, remplace papesse et pape par L'ESPAGNOL CAPITAINE FRACASSE et BACCHUS, le Diable court de profil, la maison dieu devient LA FOUDRE, l'étoile représente un astrologue, la lune une tisseuse, le soleil un personnage nu à cheval, le monde reprend une image similaire à celle du Tarot Anonyme (personnage sur un globe).
exemples : Adam de Hautot (Rouen), Vandenborre, Jean Galler, etc...
Le Tarot de Jacques Viéville est un motif unique. Les atouts ne sont pas nommés sur les cartes mais bien numérotés. La force est numérotée IX et l'Ermite XI, la justice VII et le chariot VIII. Le diable court de profil seul sur sa carte, a maison Dieu est remplacée par La Foudre, on retrouve un "astrologue" pour l'étoile, une tisseuse pour la lune, et un enfant ou une figure féminine nu à cheval sous le soleil. Le Monde est similaire à celui des Tarots "de Marseille" sauf que la figure centrale n'a pas les attributs féminins habituels. Comment le tarot de Viéville a-t-il influencé les tarots Rouen-Bruxelles ? C'est un thème qui attend à ce jour (jullet 2012) impatiemment de prochaines publications.
exemple unique : Vieville
« LE CONVER », L' « ANCIEN TAROT DE MARSEILLE », B.-P. Grimaud, J.-B. Camoin et la confusion.
L' « ancien tarot de Marseille » publié initialement par Grimaud n'est qu'une des variations existantes sur "le Conver" - qui a peut-être été commercialisé précédemment par un autre cartier, le graveur ayant signé de ses initiales V.T. le Chariot n'ayant a ce jour toujours pas été identifié. Gérard Van Rijnberk proposait comme explication à ces initiales "Veuve Toulon", veuve de cartier ayant officié à Marseille, cependant les initiales étaient celles du graveur, et les "femmes cartiers" ayant reçu leurs charges par héritages (veuve, enfants) il semble impossible que cette cartière ait fait poser ses initiales sur ces moules.
La première "variation" du Conver est en fait la version qu'en a produite Jean-Baptiste Camoin. En effet au XIXe siècle, J.-B. Camoin, repreneur de la manufacture Levenq précédement Conver, en industrialisant la fabrication cartière marseille met un point final à la maitrise traditionnelle des cartiers, il change pour raisons économiques les couleurs du tarot de Conver, tout en poussant à leurs limites des moules déjà très usés. Son tarot vers 1860 est donc la première variante du "Conver".
Parallèlement le tarot d'Arnoult récupéré par Grimaud (voir ci-dessous) semble aussi une variation sur le même motif, il est extrêmement proche tout en étant un tarot de Besançon (mais il en existe des versions anciennes avec Pape et Papesse). Le "Grimaud" de Paul Marteau est un mix entre un tarot de Besançon dit "tarot italien" (son nom commercial) racheté dans le fonds de Lequart (cf ci dessous) des cartes du Conver pour V et II, avec des couleurs copiées sur la version JB Camoin du tarot de Conver, d'où le fatras qu'on connaît.
La preuve que Paul Marteau (qui était à la tête de la maison Grimaud) s'est inspiré du tarot de Conver version JB Camoin est dans son livre (le gros "tarot de Marseille" préfacé par Paulan) : les descriptions des couleurs correspondent au tarot Conver de 1860 de Camoin et non à l' "Ancien Tarot de Marseille" de Grimaud ! Quand au nom de Conver, c'est le seul cartier que Marteau cite (en note de bas de page très discrète au début du livre) - alors qu'il connaissait extrêmement bien le sujet, son oncle qui l'a précédé à la tête de la maison Grimaud avait une collection de cartes anciennes impressionantes, et Paul Marteau lui-même également (voir le catalogue de sa donation à la BNF publié aux éditions du Vieux Papier). Cette citation a certainement participé à la légende et à la prédominance du nom de Conver comme référence quasi unique pour les amateurs de Tarot pendant longtemps.
Profitons-en pour rapporter l'explication du "1748" qu'on trouve sur le 2 de deniers de l' "ancien tarot de Marseille" de Grimaud, explication que l'on doit à l'indispensable Thierry Depaulis dans "Cartiers parisiens du XIXe siècle".
On sait que le Conver est daté de 1760, alors d'où sort ce 1748 ? C'est un coup commercial : il vient de la maison Arnoult, passée entre les mains de Maurin, Lequart et ensuite Grimaud. En fait c'est déjà une maison précédente que la dynastie Arnoult rachète : la maison Janet, fondée initialement comme cartonnerie vers cette date de 1748. Cependant l'activité cartière n'y a démarrée qu'au début du XIXe ! Mais comme il était plus vendeur de prétendre être les premiers donc les plus authentiques avec le meilleur savoir faire (comportements encore en cours de nos jours) cette date de 1748 est stratégiquement apposée sur les cartes Arnoult. Avant le rachat de Janet en 1830 les cartes Arnoult portait la date de la fondation de la maison : 1824.
Le filon est récupéré par les repreneurs jusqu'à Grimaud qui perpétue encore de nos jours (maintenant plus précisément le groupe France-Cartes) l'usage de cette datation.
BIBLIOGRAPHIE HISTORIQUE SOMMAIRE
en sus des ouvrages cités dans le texte ci-dessus quelques indispensables :
- Tarot, jeu et magie, Thierry Depaulis, Bibliothèque Nationale
- A Wicked pack of cards, the origins of the occult tarot, R.Decker, T.Depaulis, M.Dummett, éditions Duckworth
- Schweizer Spielkarten 2, Depaulis, McLeod, Giger, Haas, Museum zu Allerheiligen
- La Grande Encyclopédie du Tarot, volumes I et II, Stuart R. Kaplan, Tchou
- Cartes à jouer et tarots de Marseille, dirigé par I.Sénépart, Alors Hors du Temps
- Histoire des jeux de société, Jean-Marie Lhôte, Flammarion
On pourra aller beaucoup plus loin avec la bibliographie proposée par l' International Playing Cards Society disponicle en suivant ce lien : bibliographie I.P.C.S.
BIBLIOGRAPHIE POUR ALLER PLUS LOIN
- Méditations sur les 22 arcanes majeurs du Tarot, par un auteur qui a voulu conserver l'anonymat, Aubier
- Le Tarot, Jean Carteret, L'originel
- LE TAROT, discours en forme de catalogue à propos d'une exposition sur les Tarots réalisée par la Maison de la culture d'Amiens, Jean-Marie Lhôte, Revue Bizarre/J-J. Pauvert
- Trois figures hiéroglyphiques, Charly Alverda, le Moulin de l'Étoile
- Le Tarot d'Antoine Court de Gébelin, commenté par Jean-Marie Lhôte, Berg
- Le Tarot de Marseille, Paul Marteau, Arts et Métiers Graphiques
SUR INTERNET
avec les années qui passent il faudra déployer des trésors d'inventivité pour retrouver des traces de certains de ces sites
https://l-pollett.tripod.com/cards3.htm
https://i-p-c-s.org/
https://web.archive.org/web/20080309031009/https://www.tarothermit.com/index.htm
https://fr.wikipedia.org/wiki/Tarot_de_Marseille
https://trionfi.com/01/j/
B.S.G.
Note : Ce texte avait été initialement publié sur ce blog : https://dutarot.blogspot.fr/p/tarotophilie-essentielle.html